Henri Bourlier, patriote, résistant et un grand chef

S'il est un nom, bien connu pour ses faits d'armes dans le cadre de son engagement dans la résistance locale contre l'occupant nazi, durant la seconde guerre mondiale, c'est bien celui d'Henri Bourlier, alias Tito, dont la destinée hors du commun amena ce patriote courageux, à devenir un chef de guerre particulièrement actif, entreprenant, efficace et extrêmement respecté, estimé, voire affectionné, par ses hommes et son entourage. Encore aujourd'hui, plus de soixante-quinze années après son décès tragique survenu le jour de Noël 1946 à Haiduong en Indochine, le souvenir de ce combattant remarquable reste très vivace, entretenu par ses compagnons d'armes et leurs descendants, avec les concours successifs de membres d'associations patriotiques et de municipalités locales, qui ont eu à cœur d'entretenir, dans la durée, la mémoire de ce grand soldat.

Chaque année, le premier dimanche de juin, une cérémonie du souvenir se déroule sur la commune de Saint-Maurice Colombier, au lieu-dit "Le Bois du Bacon", devant le monument dédié à la mémoire de ce valeureux groupe de résistants, à l'endroit même où Tito avait établi son campement, lorsqu'il prit le maquis pour se lancer dans la lutte armée. La vie d'Henri Bourlier, héros de la résistance, a été relatée plusieurs fois, en partie grâce au contenu de son journal de marche renseigné méticuleusement au fil de ses missions par un de ses fidèles compagnons, ainsi qu'à partir de témoignages de ceux qui l'ont côtoyé. Après la lecture de deux ouvrages dédiés à Tito (cf. ci-contre), si on tentait de résumer sa vie brève mais au combien riche en actions courageuses et héroïques menées, foisonnante par les multiples péripéties, rebondissements et épreuves vécus, ainsi que par les instants de grâce et d'émotion qu'il a éprouvés lorsqu'il rencontra l'amour de sa vie, un amour improbable et compliqué, intense et bref en ce bas monde, mais immortel bien au-delà de sa courte existence terrestre, pour ce couple remarquable, nous pourrions relever ceci :

Les origines

Henri Bourlier est né le 24 août 1918 à Blussangeaux, un petit village proche de l'Isle sur le Doubs. Militaire dès ses vingt ans, c'est en juin 1940 en tant que caporal-chef, qu'il découvre la guerre, lorsque son corps d'armée engage de courageux combats contre la Wehrmacht. Défait, le 22 juin, il est fait prisonnier à Colmar dans un camp, d'où il s'échappe rapidement, se cachant à Munster chez un ami. Là, il fait la connaissance de Jeanne Bolly, sa future épouse. L'Alsace étant annexée par l'Allemagne, en situation irrégulière, il doit quitter sa planque et il retrouve sa place dans la ferme familiale. Pour Henri, l'Armistice est une humiliation, il n'accepte pas la défaite. Mais en août 1940, Henri découvre l'Appel à résister du 18 juin du Général De Gaulle. C'est une révélation. Il a trouvé son guide providentiel. Il signe son engagement de résistant avec son cœur. Dès fin 1940, aidé par son père, lui même grand patriote, Henri part à la recherche de zones potentielles de refuge dans les bois alentour, et récupère des armes et des munitions abandonnées par les troupes françaises lors de la débâcle, certaines jetées dans le Doubs. L'histoire montrera qu'elles serviront plus tard pour les sabotages, notamment les fameux obus de 155. Les mois passent. Progressivement, la situation militaire des armées du Reich se dégrade.

Le début de la résistance

Fin 1942, Henri établit un premier contact avec la résistance locale. Il entre dans une première organisation structurée en prenant contact avec Louis Bonnemaille du BOA (Bureau des Opérations Aériennes).

De fin 1943 au premier trimestre 1944, Henri recrute des informateurs, identifie ses contacts pour ses futures actions, et recrute ses premiers compagnons. Il met sur pied une organisation qui lui permettra de mettre en œuvre les opérations de sabotage à venir. Le 19 mars 1944, Henri passe à l'action et réalise son premier sabotage en faisant sauter le pont de chemin de fer de l'Isle sur le Doubs qui enjambe le canal.

 

Le 5 juin 1944, la veille du débarquement de Normandie, le chef de la France Libre s'adresse aux français et ordonne à la résistance de passer à l'action.

Le groupe Tito reçoit la mission d'interdire tout trafic sur la voie ferrée.

C'est la naissance du maquis, avec un premier regroupement de dix hommes dans un campement de fortune au cœur du bois du Bacon, sur la commune de Colombier-Châtelot.

Les moyens sont très modestes, au début deux tentes et une cabane dite "Bambou". Les conditions de vie sont rendues difficiles par une longue période pluvieuse qui sévit sur la région.

A partir de la nuit du 7 au 8 juin et jusqu'à la montée au Lomont en août 1944, grâce aux munitions cachées depuis 1940 et à un parachutage d'armes et d'explosifs organisée par le BOA le 1er mai, Henri Bourlier et son groupe mènent avec succès des missions de sabotages, de destruction de matériel ferroviaire, de ponts, provoquant plusieurs déraillements de trains de marchandise. Henri s'attaque aux cibles stratégiques, définis comme à neutraliser, les mettant hors service durant de précieux jours d'immobilisation pour entraver les déplacements des troupes Allemandes, au bénéfice de l'avancée des alliés. Le 12 juin, Henri Bourlier devient Tito, du nom emprunté au chef de la résistance Yougoslave qui, comme lui, a à cœur d'être mobile pour assurer la sécurité du groupe. En effet, à la suite de mouvements de troupe Allemandes en approche du maquis, Tito organise le déplacement de son campement le 29 juin.

Le 8 juillet, l'attaque meurtrière du maquis d'Ecot par les Allemand et son élimination, constituera un fait tragique de cette époque très risquée, qui marquera les esprits des membres du groupe Tito, qui furent témoins impuissants de ce désastre, arrivant tardivement sur les lieux.

Le 11 juillet, Tito rencontre un capitaine américain nommé Paul, parachuté sur zone avec son radio, qui assurera bientôt le commandement du maquis du Lomont et contribuera à l'organisation de parachutages à destination de la résistance.

Le 13 juillet, le maquis Tito doit déménager à nouveau vers "le Rochet", un secteur offrant les dispositions nécessaires pour garder, observer, esquiver, tout en étant assez proche de la voie ferrée. Les actions s'enchainent avec plus ou moins de succès. Le maquis Tito se renforce.

Le 16 août, Tito réorganise ses hommes en formant une section constituée de trois groupes. Le maquis est maintenant constitué de sept tentes et de la fameuse cabane Bambou.

Le 20 août, par mesure de sécurité, le maquis déménage à nouveau dans le bois de Miemont, entre Lanthenans et Blussans.

Se battre au Lomont !

Après un dernier sabotage le 22, le 23 août, le maquis Tito rejoint le Lomont, transporté par deux camions. Malgré un retard dû à une crevaison, le premier véhicule dépose les hommes à Pont-de-Roide, qui vont se diriger à pied vers la ferme de Brisepoutot, puis rejoindre la crête en fin d'après-midi, où les attend un bivouac sommaire. Le second camion arrive dans la soirée avec le matériel. Tito découvre un maquis en état d'alerte maximum après la violente attaque allemande du jour précédent, qui a été repoussée par les maquisards. Les hommes de Tito prennent leur premier tour de garde à "La Tour Carrée". Les nuits sont ponctuées par des opérations de parachutage, des paras français, des containers, du matériel. Le maquis se renforce.

Le 24 août, Tito a vingt-quatre ans et le groupe est transporté à Montécheroux, où le drapeau français flotte fièrement sur la place du village. La première mission du peloton Tito, épaulé par des paras, est d'attaquer un poste frontière à Dannemarie. C'est un échec. Tito compte son premier blessé, évacué sur l'hôpital de campagne de Chamesol.

Le groupe Tito est ensuite affecté à la garde de l'accès au maquis par la route de Noirefontaine. C'est la première rencontre avec une patrouille Allemande. Elle permet au groupe de faire son premier prisonnier, qui se révélera être une source précieuse d'informations, notamment apportant un important renseignement qui alerte le maquis, trois compagnies d’infanterie Allemandes sont arrivées à Pont-de-Roide !

Il en résulte la décision d'attaquer la ville. Le Groupe Tito, positionné sur la rive droite du Doubs, engage le combat avec des Allemands retranchés dans l'école, qui sera finalement investie avec un nouveau prisonnier à la clé. Mais de l’autre côté du Doubs, les paras sont confrontés à une colonne allemande. Le combat est bref, violent, meurtrier, avec la défaillance d'un mortier qui privera d'artillerie les attaquants, chacun devant retrouver, déçu, sa position.

Le 27 août, le groupe est baptisé "le corps franc Tito".

Le 31 août, des membres du corps franc se portent volontaires pour se joindre à un détachement de parachutistes, qui mème une embuscade fructueuse sur la route de Saint Hippolyte, ramenant trois prisonniers et de précieuses armes. Le lendemain, d'autres "Tito" se joignent aux « Mohicans » pour prendre possession du plateau de Maîche, tout juste évacué par les Allemands, où ils seront hébergés trois jours chez l'habitant.

Le 4 septembre, de retour à Montécheroux, c'est le départ pour Clerval avec les paras pour bloquer la retraite Allemande et protéger le pont sur le Doubs, alors que les troupes alliées sont à Baume-les Dames. Le corps franc Tito est chargé de surveiller la route de Besançon, ce qui lui donne l'opportunité de s'attaquer à une colonne allemande le long de la voie ferrée, qui se disperse dans la forêt sous les tirs nourris. Tito, pour mieux protéger ses hommes, se rapproche de Clerval. Dans la ville, les combats font rage. Les Allemands ont contre-attaqué depuis Rougemont et l’Isle sur le Doubs. Durant la nuit, les paras décrochent, soutenus par les résistants. Clerval est aux Allemands et le pont est détruit. Tito se replie à l’Isle pour ne pas être encerclé. Les attaques de l'Isle et de Clerval sont des échecs. Tito décide alors de monter une embuscade sur le plateau de Sancey, où le corps franc fera des victimes parmi les passagers d'un véhicule blindé.

Le 7 septembre, quelques membres du corps franc Tito minent une route forestière près de l'Isle sur le Doubs, très utilisée par l'ennemi. Lors du repli, les bruits des explosions prouvent que les pièges ont parfaitement fonctionnés. Pendant ce temps, d'autres membres sont affectés à l'escorte d'un certain capitaine Henry, une mission réussie non sans mal, le capitaine arrivant à bon port comme prévu. A l'arrivée des troupes françaises, le corps franc est dirigé vers Glainans, où la population l'accueille chaleureusement.

Le 10 septembre, le Colonel Le Puloch, commandant le R.I.C.M. (Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc), a besoin 'd'éclaireurs" du pays pour guider sa troupe. Tito missionne plusieurs de ses hommes. A Solemont, où le R.I.C.M. est arrivé, Tito obtient deux GMC pour remonter son groupe à Montécheroux. Il découvre un village, où la liesse populaire de la libération a fait place à une forme de crainte palpable, marquée par la puissante attaque Allemande du 6 septembre, une journée difficile pour le maquis du Lomont, durant laquelle les résistants ont combattu vaillamment contre des blindés et de l'artillerie ennemis, une attaque qui s'est révélée être un échec pour les Allemands, grâce à l’arrivée fortuite de la troisième division algérienne.

Le 13 septembre, c'est l'attaque du village d'Ecurcey, dont la position dominant Montbéliard est stratégique. Ils ne sont pas seuls, rejoints par un peloton de chars et un détachement de Sénégalais. Mais les Allemands retranchés résistent. La bataille est meurtrière. C'est le repli. Le front se stabilise.

Dans la première armée, pour la Patrie, à la vie à la mort...

Le 20 septembre, en répondant à l'appel du Capitaine Sartout du R.I.C.M. pour intégrer son unité combattante, le corps franc Tito s'engage dans la Première Armée Française et devient le 5ème peloton du 6ème escadron du R.I.C.M. S'en suit une période d'instructions militaires et les combats continuent.

En novembre 1944, Tito participe à l’offensive pour la libération du pays de Montbéliard, puis à la campagne d’Alsace avant d'entrer en Allemagne le 2 avril 1945.

Le 8 mai 1945, c'est la fin de la guerre en Europe, mais pas en Asie.

 

Le 25 juin 1945, Henri Bourlier épouse Jeanne sa promise, rencontrée à Munster lors de son évasion rocambolesque. La robe de mariée est confectionnée en toile de parachute, selon le souhait de Tito.

Le 2 octobre 1945, Tito apprend qu'il doit partir pour l'Indochine.

Le 12 octobre, il embarque à Marseille sur le paquebot anglais l'Orontès. Un mois plus tard, c'est l'arrivée à Saigon.

Ainsi débute sa nouvelle aventure militaire, qui s'achèvera brutalement le 25 décembre 1945, le sous-lieutenant Henri Bourlier étant victime d'un tir isolé lors d'une mission périlleuse pour secourir des camarades Marsouins en détresse.

Il est enterré le 28 décembre 1946 à Haiphong à côté de ses camarades morts pour la France. La dépouille de Tito retrouvera le cimetière de sa ville natale le 20 avril 1950, au côté de sa fille, décédée quelque temps auparavant.

 

En 1947, très éprouvée par le décès de sa fille et de son mari, Jeanne Bourlier, épouse de Henri, entre dans les ordres sous le nom de Sœur Marie Béatrice Bourlier.

Elle décède au sein de la congrégation des sœurs de la charité à Strasbourg le 15 août 2014 à 93 ans.

 

Ci-dessous une lettre touche écrite par Madame Henri Bourlier, Sœur Marie-Béatrice, à destination du Général Bataille, fidèle compagnon de Tito, publiée dans son livre "Tito", qui témoigne de l'engagement inconditionnel de cette famille au service de la France.

« Chez nous à la clinique le 3 novembre 1995. Bonjour, il est 6 h du matin. C'est vrai, le 25 décembre 1946, tout a basculé dans ma vie, ça fait déjà cinquante ans. Je m'étais déjà endormie ce soir de Noël quand doucement quelque chose m'a réveillée, quelque chose... j'ai au même moment entendu de curieux craquements dans les meubles, j'étais calme, très calme même, mais prise d'une terrible inquiétude car j'ai alors pensé, peut-être est-il arrivé quelque chose à Henri dans cette lointaine Indochine, peut-être est-il blessé ?... Maintenant, je suis sûre que c'est lui qui est venu me réveiller, ça ne pouvait être que lui... Il est passé près de moi, il avait encore quelque chose à me dire avant de partir pour le royaume des Bienheureux. Henri est toujours heureux et bien vivant à l'intérieur de mon jardin secret, c'est-à-dire dans mon cœur, il est là présent et notre petite fille aussi. Je crois à la communion des Saints, à la vie éternelle, je crois en Dieu.

Ensemble, nous aurons tout donné pour Dieu et pour la France. »

Respect. JCD

Date de dernière mise à jour : 06/07/2023