Pierre Rolinet résistant déporté

Un engagement sans faille dans le travail de mémoire et de témoignage.

Le 21 juin 2020, à l’occasion de la Cérémonie nationale du Souvenir organisée sur le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, Pierre Rolinet adressait le message suivant ( Cliquez ICI ) pour visualiser la vidéo du discours : réalisation Dominique Delfino, durée 7'40).

Né le 4 juin 1922 à Allenjoie dans le Doubs, Pierre entre à l’école d’apprentissage Peugeot de Sochaux à l’âge de douze ans et, après avoir obtenu un CAP d’ajusteur, devient outilleur aux Automobiles Peugeot dans sa quinzième année.

Dans l’hiver 1942-43, il refuse à trois reprises le travail en Allemagne et bascule dans la clandestinité.

Un engagement dans la Résistance et le soutien de la communauté protestante lui ouvrent les portes de l’Institut de Glay où il va remplir les fonctions de surveillant sous un nom d’emprunt.

A la suite de l’interpellation de deux de ses camarades résistants, il est arrêté à son tour le 29 novembre 1943, détenu quatre mois dans la prison de Besançon, enfin déporté dans « la Nuit et le Brouillard » au camp de Natzweiler-Struthof, puis dans ceux de Dachau et d’Allach.

De retour de l’univers mortifère des camps, il partage avec la plupart des rescapés le sentiment de ne pas être entendu, encore moins écouté. La déportation devenue sujet tabou n’est plus évoquée qu’avec ses frères de misère. Il fonde une famille et suit de nombreuses formations et cours du soir pour réussir une brillante carrière professionnelle.

En 1978 arrive l’âge de la retraite. Pierre se mue dès lors en infatigable militant de la mémoire. Il est présent dans différentes associations patriotiques et culturelles, actif dans les rencontres avec la jeunesse et dialogue chaque année avec des centaines de collégiens et lycéens. Une activité débordante et toujours réfléchie, des interventions mesurées, précises et émouvantes laissent à ses très nombreux interlocuteurs et amis le souvenir d’un homme digne, juste et chaleureux.

Pierre Rolinet, adhérent fidèle de notre association, est Commandeur de la Légion d’Honneur, également Commandeur dans l’ordre des Palmes académiques.

Il s’est éteint dans sa centième année, le 24 avril 2022. Une date ô combien symbolique puisqu’elle coïncide avec la Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la Déportation ! 

Jean-Pierre Marandin.

Source : Frères de misère. Protestants, résistants, déportés au camp de Natzweiler-Struthof. Besançon, Editions du Sékoya, 2017, 232 pages.

Message de Pierre Rolinet, déporté NN, matricule 11902, à l'occasion de la Cérémonie nationale du Souvenir au Struthof, le 21 juin 2020.

Mesdames, Messieurs et chers Amis.

A l'occasion de la cérémonie annuelle du Struthof et malgré les événements actuels, il a été décidé de réunir quelques personnes pour rendre hommage aux déportés de Natzweiler. En raison de mes difficultés de déplacement, je ne peux être parmi vous comme je le faisais chaque année depuis les années cinquante, et je le regrette vivement. Mais je tenais quand même à délivrer le message suivant.

Enormément de souvenirs sont toujours présents pour nous tous, les rescapés de cette épreuve inimaginable. Chaque fois que je reviens ici, chaque fois que je traverse ce portail, j'éprouve une profonde émotion et une pensée qui ne me quitteront jamais. Je revois cette arrivée, la découverte de cet enfer et la réception du chef de camp nous prévenant : "Vous entrez par cette porte mais vous sortirez par la cheminée".

Ce qui a suivi a été une épreuve incroyable et impossible à imaginer pour qui ne l'a pas vécue. Vous perdez à ce moment-là votre nom remplacé par un numéro, tout ce que vous avez sur vous et tout ce qui vous rattache à votre vie antérieure, même votre corps est souillé. J'entends encore ces paroles du député de l'Allier Isidore Thivrier, âgé de 64 ans, avec sa grande barbe blanche, qui se retrouvait nu au milieu de nous : "Mieux vaut la mort que ce déshonneur." Il n'a tenu que trois semaines avant de mourir.

Ensuite, ce fut la vie du camp, anéantis, [….] à la merci d'autres humains, SS ou Kapos, qui avaient droit de vie ou de mort sur chacun d'entre nous. Tout était prévu et organisé pour nous faire disparaître, les coups, la faim, le travail forcé, les maladies, le froid et la vie au milieu des morts qui s'empilaient chaque jour avant d'être brûlés au crématoire. Après cinq semaines de travail exténuant à la construction de la Kartoffelkeller, je suis rentré au Revier, véritable mouroir, et j'y suis resté un mois sans soin. Dans ces moments les plus difficiles, étant persuadés de ne jamais être libérés, nous souhaitions même la mort, qui mettrait fin à toutes ces souffrances.

Cependant j'ai eu la chance, avec l'aide de mes camarades, de pouvoir rejoindre mon Block et de reprendre ma vie du camp. Ne pesant plus que 37 kg pour 1 mètre 81, j'ai été pris en charge par la solidarité du camp, soutenu par mes camarades, qui se privaient pour moi en partageant leur ration de pain. Je leur en suis toujours très reconnaissant. Il faut lutter en permanence et nous entraider, garder sa dignité au milieu de cette déchéance et malgré tout rester des hommes ! Cette solidarité a influencé et transformé toute ma vie car j'avais promis à ceux qui mourraient autour de moi de témoigner si je rentrais vivant de cet enfer.

Depuis ma retraite, j'ai consacré tout mon temps libre à témoigner dans les écoles, à œuvrer dans les associations patriotiques et à apporter mon soutien au Centre Européen du Résistant Déporté et au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. Les déportés qui ont eu la chance de survivre se sont engagés à informer le monde, afin que tout le monde sache ce que des hommes fanatisés par une idéologie politique ont réussi à organiser et exécuter, tous ces crimes inimaginables dans le seul but d'éliminer tous leurs opposants.

Soixante-quinze ans plus tard, les déportés survivants ont la satisfaction de voir que la relève est assurée. Natzweiler-Struthof est devenu un lieu de mémoire par la création de la Nécropole nationale, du Mémorial de la déportation et du Centre Européen du Résistant Déporté. Merci à toutes les personnes qui ont œuvré à cette transmission et qui assurent toutes ces activités auprès du public pour que notre calvaire ne soit jamais oublié, et surtout pour veiller à ce que le pire ne se reproduise pas. Alors soyons vigilants.

Je vous remercie.

Date de dernière mise à jour : 29/04/2022