Bernard Laval, le “dernier des Mohicans”

Né le 16 janvier 1924 à Dampierre-les-Bois, Bernard Laval est décédé le 9 avril 2024 dans sa 101ème année.

Il est démobilisé de l’armée d’armistice en novembre 1942. Les Allemands lui reprochent d’avoir tenu des propos gaullistes, le convoquent et l’envoient travailler au cœur du Reich, dans le port de Kiehl sur la mer Baltique. En cas de refus, un membre de sa famille aurait été requis à sa place. Il obtient une permission fin 1943 grâce à la Croix-Rouge suédoise et, rentré au pays de Montbéliard, il bascule dans la clandestinité.

Il franchit la frontière toute proche, puis entre en contact avec le service de renseignement suisse. Il fait dorénavant partie du réseau d’agents occasionnels du poste basé à Porrentruy, chargé de la recherche d’informations depuis le secteur “Franches-Montagnes - Ajoie”. Il achemine en Suisse des données précises sur les péniches qui empruntent le canal du Rhône au Rhin et sur les convois ferroviaires qui circulent sur la voie Dijon-Strasbourg. Au bout de cinq mois, il refuse de poursuivre, alerté par les défaillances observées au niveau du poste SR et choisit d’intégrer le groupe de résistance commandé dans son village de Dampierre-les-Bois par Georges Cassard. Il participe à des transports d’armes tombées du ciel et à des sabotages. Il ne peut se résoudre à faire feu lui-même sur un collaborateur notoire. “On m’a remis un revolver. À l’approche de l’endroit où ce collaborateur se trouvait, Dieu merci, il s’est échappé. La justice de mon pays l’a rattrapé par la suite. Ce sont des moments insoutenables”. Le 16 août 1944, il rejoint le maquis du Lomont et fait partie du corps franc des Mohicans.

Cet homme discret et réservé, animé d’un bel esprit de sacrifice, participe aux travaux de l’association Mémoire et Souvenir de la Résistance du Pays de Montbéliard et du Lomont dès sa création dans les années 1990. Il s’investit largement dans le travail de mémoire sur une période qui l’a profondément marqué, ainsi lors du 50ème anniversaire de la libération, également en 2004 en posant deux panneaux pour rappeler les événements de l’été 1944 sur le plateau de Montécheroux.

Je me souviens de ces moments précieux où j’ai parcouru le Lomont à ses cotés et où, avec précision et humilité, il m’a raconté l’attaque menée le 22 août contre le maquis par quatre cents Allemands appuyés de quatre blindés.

Il appartenait à la section chargée de couvrir l’assaut lancé par ses compagnons pour s’emparer des fermes de Brisepoutot. Acte de folle bravoure que cette cavalcade à découvert pour franchir un glacis de trois cents mètres situé entre le chemin reliant le fort du Lomont à Pont-de-Roide et le hameau sis au milieu des pâturages. Cette charge aux cris de « En avant les Mohicans » donne ce jour-là son nom au corps franc.

Demeurés en contrebas de la Tour Carrée, une position dominante réoccupée par l’ennemi dans l’après-midi, Laval et quelques camarades ont été soumis à un feu nourri avec toujours le bruit angoissant des moteurs et chenilles des chars allemands sur leurs arrières. Après avoir vidé ses cinq chargeurs, le maquisard Laval ne disposait plus que d’une grenade. Lorsque l’ordre lui parvint de se replier sur la combe, il se leva pour gagner le creux de la pâture et la murette qui pouvait lui permettre de remonter à l’abri jusqu’à la ferme Jonathan. Il fut alors blessé au bas du dos. Exposé aux tirs d’une mitrailleuse, il s’est aplati. À ses côtés, Marcel Pillard, un père de famille de 38 ans, avait l’épaule arrachée par une balle explosive et n’arrêtait pas de bouger ; il a dû l’immobiliser. Pillard reçut un nouveau projectile dans la jambe droite, puis une balle en plein front. De son côté Laval avait froid. L’attente était interminable. Le sang inondait ses jambes qu’il avait peine à bouger.

Heureusement, les résistants embusqués derrière la murette continuaient à tenir en respect l’ennemi qui ne pouvait s’avancer pour l’achever. A la fin de l’après-midi, les tirs s’arrêtèrent. Soigné à même le sol par un docteur de Montbéliard, Laval va demeurer allongé au milieu d’un champ jusqu’au matin du 27 et son transport à Chamesol, où une antenne médicale venait d’être installée par André Caufment. Ce chirurgien avait quitté Paris le 21 août sur ordre de l’état-major national FFI pour gagner le Lomont.

Dans la salle d’opérations improvisée, Caufment annonça à Laval qu’il n’aurait pas de véritable anesthésie, qu’il ne disposait pas non plus d’antibiotiques et de sulfamides. Ses deux assistants parisiens, un tampon d’ouate à la main, firent couler de l’éther, puis le chirurgien coupa généreusement les chairs, rejoignant les orifices d’entrée et de sortie de la balle pour évacuer l’infection. Le 29, Laval était exfiltré en Suisse par le village frontalier de Villars-lès-Blamont libéré l’avant-veille par le maquis. Hospitalisé à Porrentruy, puis interné au camp d’internement de Mogelsberg où étaient détenus des FFI assimilés à des militaires et admis en Suisse, il s’évadera le 26 novembre 1944 avec la complicité des hommes du colonel Gaston Pourchot, attaché militaire adjoint de l’ambassade de France à Berne et chef du réseau Kléber Bruno. 

Jean-Pierre Marandin.

Sources : entretien avec Bernard Laval le 28.10.2000 ; Le Dernier des grands maquis de France. Le Lomont, août-septembre 1944. Editions du Sékoya, Besançon, nouvelle édition 2018, 230 pages.

Date de dernière mise à jour : 02/05/2024