Dernière lettre d’Henri Fertet, un Compagnon de la Libération né à Seloncourt

Henri Fertet est né le 27 octobre 1926 dans un milieu catholique à Seloncourt dans le Doubs.

Il fait ses études primaires dans cette localité de 4 200 habitants où ses parents sont instituteurs. Lycéen à Besançon, il s’engage pendant les vacances de l’été 1942 dans le groupe de résistants dirigé par Marcel Simon, un agriculteur de Larnod âgé de 19 ans, secrétaire local de la Jeunesse agricole chrétienne. Le groupe rallie en février 1943 l'organisation des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) et prend le nom de Guy Mocquet.

Arrêté dans la nuit du 2 juillet 1943 au domicile de ses parents, le jeune résistant est condamné à mort le 18 septembre 1943 pour « délit de franc-tireur », exécuté le 26 septembre 1943 avec quinze de ses camarades à la Citadelle de Besançon.

A l’aube du 26 septembre, sa dernière lettre va à ses parents, pour leur dire adieu. Dans cette missive écrite au crayon de papier, Henri Fertet exprime un amour profond pour ses parents, son frère Pierre et fait preuve d’une étonnante maturité. Cet hymne à la patrie par un jeune résistant chrétien prend vite un caractère sacré. Il se termine par un message fort : « Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, pre­mière nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête ».

Comment ne pas être impressionné et ému par cette leçon de courage face à la mort ?

 

Henri Fertet a été fait Compagnon de la Libération à titre posthume par décret du 7 juillet 1945, un parmi les 1 038 patriotes que comptabilisera l’ordre. Le 5 juin 2019, le président de la République française Emmanuel Macron a choisi de lire la dernière lettre de Fertet lors des cérémonies de commémoration du 75ème anniversaire du Débarquement organisées à Portsmouth.

Jean-Pierre Marandin, août 2020

Le 18 novembre 2022, jour anniversaire de la libération de Seloncourt, a été dévoilée la plaque dont la photographie est proposée ci-contre.

Elle a été apposée sur la façade de l’Espace Henri Fertet, au rez-de-chaussée, coté place Ambroise Croizat.

Dernière lettre du condamné à mort Henri Fertet adressée à monsieur et madame Fertet, à Velotte-Besançon (texte, version audio par Hannah)

"Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n'en doute pas, vous vou­drez bien encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.

Vous ne pouvez savoir ce que moralement j'ai souffert dans ma cellule, [ce] que j'ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir peser sur moi votre tendre sollicitude que de loin. Pendant ces 87 jours, votre amour m'a manqué plus que vos colis et souvent je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez vous douter de ce que je vous aime aujourd'hui car, avant, je vous aimais plutôt par routine, mais maintenant je comprends tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois être arrivé à l'amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être après la guerre, un camarade vous parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué. J'espère qu'il ne faillira pas à cette mission désormais sacrée.

Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement nos plus proches parents et amis ; dites-leur ma confiance dans la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, oncles, tantes et cousins, Henriette. Donnez une bonne poignée de main chez M. Duvernet ; dites un petit mot à chacun. Dites à M. le Curé que je pense particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur du grand honneur, qu'il m'a fait, honneur dont je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant, mes camarades du lycée. A ce propos, Hennemay me doit un paquet de cigarettes, Jacquin mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez « Le Comte de Monte-Cristo » à Emeurgeon, 3, chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice Andrey, de La Maltournée, 40 grammes de tabac que je lui dois.

Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon petit papa, mes collections à ma chère petite ma­man, mais qu'elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d'épée gaulois.

Je meurs pour ma Patrie. Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, pre­mière nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête. Que les Français soient heureux, voilà l'essentiel.

Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur. Pour moi, ne vous faites pas de soucis. Je garde mon courage et ma belle humeur jusqu'au bout, et je chanterai « Sambre et Meuse » parce que c'est toi, ma chère petite maman qui me l'as apprise. Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler, n’admettez pas de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur trois [petits-fils], il en reste un, il doit réussir.

Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée ; mais c'est parce que j'ai un petit crayon. Je n'ai pas peur de la mort ; j'ai la conscience tellement tranquille.

Papa, je t'en supplie, prie. Songe que, si je meurs, c'est pour mon bien. Quelle mort serait plus honorable pour moi que celle-là ? Je meurs volontairement pour ma Patrie. Nous nous retrouverons tous les quatre, bientôt au ciel. Qu’est-ce que cent ans ? Maman, rappelle-toi : Et ces vengeurs auront [de nouveaux défenseurs] - Qui après leur mort, auront des successeurs.

Adieu, la mort m'appelle. Je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous, c’est dur quand même de mourir. Un condamné à mort de 16 ans.

Excusez mes fautes d’orthographe, pas le temps de relire.

Expéditeur : Monsieur Henri Fertet. Au Ciel près de Dieu".

Date de dernière mise à jour : 21/11/2022